Friday, 10 February 2017

Ecoute mon petit, écoute... de Jan Bardeau

Couverture du recueil Les égarés
Illustration de Sébastien Russo


Un conte dystopique extrait du recueil Les égarés, de Jan Bardeau, autoédition, 1998

Ecoute mon petit, écoute ton grand-père, tiens, remets du combustible dans le foyer, prends ces cartons, oui ceux-ci, nous irons demain en cherche d'autres. Voilà, nous sommes au chaud, couvre-toi tout de même, les courants d'air vibrent fort, la cloison de notre cabane, cette couverture te protégera, doucement mon garçon, ne la déchire pas. Tu es bien? Tu as faim, je le sais mon pauvret, moi aussi, moi aussi, il ne reste rien hélas, ni bouillon ni pain; écoute-moi, écoute ton grand-père.

Loin d'ici, je m'en souviens, s'étend une contrée généreuse; la terre y revêt une robe de plantes, tu n'imagines pas, des fleurs multicolores et des arbres de toutes sortes, des insectes en pagaille animent cette flore par leurs vrombissements, et les gens mon garçon, si tu les voyais! Ils sont beaux, si beaux! Ils portent des vêtements solides et pleins de motifs variés, ils ne se nourrissent que de viande et de fruits frais, et si forts! Ils consacrent leur temps à leur corps, ils courent pour rien et nulle part, ils soulèvent des choses lourdes pour se muscler et quand ils se lassent, sais-tu, ils rêvent, comme toi ce soir, tes yeux ouverts sur les flammes et leur puanteur, mais eux, ils utilisent des machines à histoires, et des personnes sont entretenues à inventer sans cesse des fables plus attrayantes.

Mais le mieux, tu écoutes? Oui? Ecoute ton grand-père, oui, écoute-moi, ne bave pas, je t'en prie, tu gémis? Ecoute ma vois, je l'ai vue, tu me crois? Une grande maison de bois, elle glisse sur l'eau, paisible, si paisible, et ses habitants vivent là, portés au gré des courants de tant d'eau, comme tu n'en as jamais connue, comme tu n'en connaîtras jamais, de l'eau si profonde que d'aucuns disparaissent dedans, comme cette bassine, oui, qui recueille la pluie, mais tellement plus grande.

Tu dors? Déjà? Je te conterai la suite, oui, mon pauvre débile, et je prierai pour toi, moi l'athée, parce qu'il ne demeure que cet espoir d'échapper, de vivre ailleurs, sans cette misère, ces privations, sans ces cochonneries qui font des petits difformes, oui, un peu de liberté, comme avant, lorsque jeune homme j'existais, chômeur, mais toujours un peu heureux.

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