Sunday, 19 April 2020
Parce qu'au bout d'un moment il faut que ça s'arrête! Par Robert Roman
Voilà cinquante-neuf ans que cela dure. Le soir, je disparais. Le matin, je renais. Et je m’étonne de respirer encore, de trouver la force de couper ces poils qui s’exhibent hors de mes pores. Un fatras silencieux m’accompagne. Ce ne sont que papiers blancs, enveloppes kraft, cachets de cire et encre noire. Les mots sont toujours les mêmes : ciel ouvert, chiendent amical, mousse dévastatrice… Je change seulement le sens en cours de route et me retrouve au point de départ : voilà cinquante-neuf ans que cela dure. Le soir, je disparais. Cent démangeaisons m’obligent à me gratter. Mes ongles miment un générique. Celui que personne ne regarde jamais. Parce que trop intime. Trop personnel. Mon cinéma est exquis. Je perçois les mouvements de caméra. Quelqu’un a dit : « Moteur ! » Je répète les mots. Je répète le texte. Pour la réplique, nul n’est admis. Que ce soit un rêve ou la réalité, la psychose est la même. Un univers se déploie… Je parcours la nef en volant et je crie que je suis le mal. Je sais que c’est faux, pourtant les nonnes relèvent leur robe quand je passe devant le banc de bois qui leur sert de prothèse. Quelqu’un a dit : « Coupez ! » Mais les projecteurs restent allumés. Il suffit alors d’une expression parfaitement bien choisie pour rejouer la scène. Voilà cinquante-neuf ans que cela dure. Le soir, je disparais…
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